Journal de bord du Bailli de Suffren

Journal de bord du Bailli de Suffren dan l’Inde, 1781-1784, publié par Henri Moris.

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Vendredi 20. – Le vent à l’O. S. O., petit frais ; temps couvert. Route au plus près du vent, tribord amures.
Au soleil levé, relevé : le mât de pavillon de Portonovo, O. N. O. 5°, 2 lieues ; cap de Colram, Ouest ¼ S. O.
Le vent au S. O., petit. Route au plus près du vent, bâbord amures. Sondé 24 brasses, sable et vase. A la même heure, signal à la Cléopâtre de tourner en avant de l’escadre en découverte de l’ennemi, que nous n’apercevions pas. A 6 heures, signal au Cowentry de chasser au N. O. ¼ Nord. En même temps nous avons aperçu deux bâtiments au S. E., que nous avons jugés frégates de l’ennemi. A 6 heures ¼, nous avons arrivé pour rallier quelques-uns de nos vaisseaux, qui étaient sous le vent. A 6 heures ¾, nous avons eu connaissance de l’ennemi dans le S. S. E., au nombre de 23 voiles, bâtiments de guerre ou de transport. A 7 heures, signal de ralliement aux deux frégates. Nous avons alors manœuvré pour approcher l’ennemi. A 7 heures ½, signal de virer de bord vent devant, tous en même temps, et à l’Ajax de forcer de voiles. A 10 heures ¼, signalé la ligne de bataille n° 1, dans l’ordre naturel, et aux vaisseaux de l’avant de diminuer de voiles. A 10 heures ½, répété le même signal et arrivé au N. N. E., pour joindre des vaisseaux qui étaient sous le vent. A la même heure, fait arriver le Cowentry et la Salamandre. Même signal a l’Artésien ; à 10 heures ¾, au Sévère de forcer de voiles. A 11 heures ¼, appelé la Cléopâtre. A 11 heures ½, la ligne étant formée, signal à l’escadre de virer de bord vent devant, tous en même temps. Les vents faibles empêchèrent quelques vaisseaux de virer vent devant.
A midi, lat. observée ; 11°35’ ; le mât de pavillon de Portonovo, S. O. 5° Ouest, 4 lieues ; les pagodes de Chalambaram, S. O. ¼ Sud.
A la même heure, signal de courir en échiquier, tribord amures, le milieu de l’escadre anglaise restant alors S. E. ¼ Sud, courant comme nous tribord amures. A midi ¼, signalé la ligne de bataille n° 1, ordre renversé. Signal au Saint-Michel de forcer de voiles, et répété le signal de ligne de bataille n°1, dans l’ordre renversé. Les vents étaient alors dans la partie de l’Ouest, joli frais. A la même heure, signal d’arriver successivement dans les eaux du vaisseau de tête, en y joignant les flammes du Brillant et du Sphinx. A midi ¾, signal à l’Artésien, qui commençait à approcher l’ennemi, de ne pas dépasser le 3me vaisseau de son arrière-garde ; peu après, signal d’ar-

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river tous en même temps au S.E. A 1 heure, le général a passé sur la Cléopâtre et fait signal à la seconde division de faire de la voile ; à 1 heure ¼, de tenir le vent tous en même temps et gouvernant au Sud, et, peu après, au S.S.E.
A 1 heure ¾, relevé : Portonovo, ouest ¼ N. O., 4 lieues.
A la même heure, signal a l’Ajax de forcer de voiles et un coup de canon. A le même heure, les ennemis ayant viré lof pour lof, tous à la fois, le général a fait le signal de virer de bord vent arrière, et, peu après, celui d’ordre de bataille n° 1, dans l’ordre naturel. Nous avons pris bâbord amures, comme les ennemis : à 2 heures ¾, signal d’arriver à l’Est, peu après les flammes de l’Ajax and du Sévère. Signal au Sévère, a l’Ajax et au Flamand de forcer de voiles ; à 3 heures ¼, à la Consolante de prendre la queue de la ligne. A 3 heures ¼, signal de tenir le vent tous en même temps, pour bien former la ligne. Signalé la ligne de bataille n° 1, ordre naturel, et tous les vaisseaux à leur poste.
[Combat de Goudelour]
Depuis que les deux escadres étaient en présence, les ennemis, toujours sous le vent, – par une continuation de vent d’Ouest fort extraordinaire dans cette mousson, où les brises fraîches se déclarent tous les jours au S. E. dans l’après-midi, – avaient toujours évité le combat, soit en arrivant, soit en virant lof pour lof. Lorsque nous étions prêts de les joindre, leur marche et leur nombre supérieur ne nous permettaient pas de les y forcer, et il paraissait qu’ils avaient formé le dessein de ne point combattre sous le vent, mais d’attendre les brises du large pour nous attaquer au vent. Fatigués apparemment d’une attente vaine, il semblent aujourd’hui avoir changé d’avis : leur ligne, composée de 18 vaisseaux, bien formée, et serrée ; le pavillon queue rouge qu’ils ont viré à la place du bleu, manœuvre qu’ils ont toujours faite au moment de combattre, nous font espérer qu’ils ont le projet de nous attendre. A 3 heures 35, signal d’arriver tous en même temps. A la même heure, le général a donné ordre au Cowentry

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d’aller dire à la Consolante de ne combattre les derniers vaisseaux de la ligne ennemie qu’à grande portée. Au même instant, le matelot de l’amiral anglais l’a démâté de sa gaule d’enseigne. A le même heure, signal au brûlot de se tenir prêt à accrocher l’ennemi au premier ordre ; à 3 heures ¾, au Sphinx et au Brillant d’arriver. A 3 heures 50, ordre verbal à l’Illustre de faire de la voile ; même signal au Brillant et au Sphinx. A 3 heures 55, signal d’approcher l’ennemi à portée de pistolet et de serrer la ligne ; ajouté au signal les flammes du Sphinx. A 4 heures ¼, nous étions à peu près à une demi-portée de canon des ennemis et ils couraient un peu largue, s’occupant de serrer leur ligne. Peu après, le général a fait signal de commencer le combat. Tous les vaisseaux sont venus au vent pour exécuter l’ordre et le combat a commencé à 4 heures 20, l’escadre courant Nord et Nord ¼ N. O. ; le vent de l’Ouest et de l’O.N.O., petit frais. La général parcourait la ligne et, étant par le travers de l’avant-garde, à 4 heures ¾, il a fait signal au Sphinx et au Brillant de mettre en panne. En même temps signal au Flamand de serrer la ligne ; à 4 heures 55, signal au Sphinx et au Brillant d’arriver. A 5 heures, le Vengeur et l’Annibal se sont abordés et ne se sont décrochés que 10 minutes après ; le Vengeur a été démâté de mât de perroquet de fougue dans cet abordage. A 5 heures ¼, signal à l’Artésien de faire servir. A 5 heures 25, signal « à vos postes ». A 5 heures ½, signal de forcer de voiles à l’Illustre ainsi qu’à l’Argonaute. A 5 heures 40, signal à la seconde division de diminuer de voiles. Nous devions avoir pour matelot d’arrière l’Illustre ; mais le Hardi était venu prendre poste entre lui et nous ; nous avions eu déjà beaucoup de manœuvres coupées, qui avaient été repassées tout de suite. A la même heure, fait forcer de voiles à

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l’Artésien et au Sévère. A 5 heures ¾, signal à la première division de diminuer de voiles avec nos flammes ; nous avons aussitôt exécuté l’ordre. L’Argonaute, notre matelot d’avant, a fait de même. L’avant-garde était un peu engagée et l’arrière-garde avait de grandes distances. A 6 heures, signal à l’arrière-garde de serrer la ligne ; à 6 heures ¼, à l’arrière-garde de forcer de voiles ; à la même heure, de tenir le vent ; à la première division de diminuer de voiles ; à 6 heures 20, de cesser le combat. Quelques vaisseaux ont continué de tirer jusqu’à 6 heures ½, qu’on a cessé d’être à portée. Le combat a été très vif et le feu bien soutenu de l’avant-garde et corps de bataille. Il y a eu quelque désordre dans les deux arrière-gardes, surtout après l’abordage de l’Annibal et du Vengeur.
La vivacité de feu des ennemis ayant diminué sensiblement et le nôtre s’étant toujours soutenu, il y a lieu de croire qu’ils ont beaucoup souffert. Nous avons eu 15 hommes tués et 45 blessés ; beaucoup de manœuvres coupées et plusieurs boulets dans les mâts, vergues et corps du vaisseau, mais sans avaries considérables, quoi-que nous eussions toujours combattu l’amiral anglais ou ses matelots, qui étaient des 74. A 6 heures 35, le Cowentry a eu ordre d’aller dire à l’arrière-garde de forcer de voiles. A 7 heures, le général est revenu à bord, et la Cléopatre a eu ordre d’aller ordonner à l’avant-garde de se replier sur le corps de bataille.
Pris le plus près, bâbord amures ; vent a l’Ouest, petit frais. Mis 5 fanaux à la corne d’artimon, ainsi que les autres vaisseaux, pour nous reconnaitre. A 9 heures, fait signal de virer de bord vent devant, tous en même temps ; mais le vent ayant varié au S.O., fait signal de conserver les amures à bâbord ; à 10 heures, répété le même signal. Nous avons envoyé un canot et un officier à bord de l’amiral,

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qui paraissait incommodé ; on a rendu compte qu’il s’était abordé avec le Hardi et que celui-ci avait eu toute sa guibre emportée ; le mât de beaupré ne paraissait pas avoir souffert.

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                  Ligne de Bataille
        Morts Et Blessés dans l’Affaire du 20 Juin

   Vaisseaux      Canons Capitaines                 Tués Blessés
Le Sphinx............ 64 Du Chilleau.................  8   23
Le Brillant.......... 64 Kersauson...................  7   18
Le Fendant........... 74 Peynier..................... 11   55
Le Flamand........... 50 Salvert..................... 17   42
L’Ajax............... 64 Dupas.......................  4   25
LAnnibal (anglais)... 50 Beaulieu....................  2   16
L’Argonaute.......... 74 Clavières................... 10   25
Le Héros............. 74 Moissac..................... 15   45
L’Illustre........... 74 Bruyères....................  4   20
Le Saint-Michel...... 60 Beaumony....................  5   25
Le Vengeur........... 64 Cuverville.................. 10   21
Le Sévère............ 64 De Langle...................  2   21
L’Annibal............ 74 D’Aymar.....................  5   14
Le Hardi............. 64 Kerhué......................  0    4
L’Artésien........... 64 De Vignes...................  2   20
La Consolante........ 40 Costebelle..................  0    2
      Frégates
Le Cowentry.......... 28 D’Herly, enseigne de Vais.    0    0
La Cléopâtre......... 36 Suffren ; G. Rosily, lieutt.  0    0
                                                     ---  ---
                                         Total...... 102  376

Officiers tués : Salvert, capitaine du Flamand ; – Dupas, capitaine de l’Ajax ; – Dien, capitaine du brûlot, sur le Sévère ; – Robinot, faisant fonctions d’enseigne, sur l’Annibal (mort de ses blessures) ; L’Isselée, auxiliaire, sur l’Annibal anglais (mort de ses blessures) ; Dumoulin, officier de Médoc, sur le Fendant (mort de ses blessures).

Le commandement du Flamand a été donné à M. de Saint-Félix, et celui de l’Ajax à M. de la Règle.